Parcours d’écriture

De l’anglais au français

J’écris en français par nécessité. Le français est ce qu’on appelle en traduction, la langue de réception de mes textes. C’est-à-dire que ceux-ci sont destinés, pour la plupart, à un public francophone. Il me serait plus simple d’écrire en anglais mais je ne supporterais pas de confier la traduction à quelqu’un d’autre ; si les histoires d’amours sont passionnelles, empruntes de jalousies et de questions – des questions d’appartenances, l’écriture n’en est pas moins dépourvue.

Cependant, l’anglais et sa syntaxe, sa structure de pensée, ses particularités, m’habitent, me manquent, me tracassent, et si j’ai toujours fait l’erreur, de temps à autre, de construire des phrases en français avec une syntaxe anglaise, j’ai commencé à me surprendre, depuis un certain temps, à construire des phrases en anglais avec une syntaxe française. Il y a alors de l’embrouille langagière. C’est pourquoi j’ai entamé des études de traduction. Dès le début des cours j’ai éprouvé un grand soulagement car une des premières choses abordées était le problème de ce que les linguistes appellent l’interférence. Voilà pourquoi je ne savais jamais, si, dans le mot adresse, il n’y a qu’un d, ou deux !

J’ai passé un certain temps à essayer de bien séparer le français de l’anglais, à réapprendre les règles de chaque langue. Et puis j’ai commencé à assumer le fait de sauter d’une langue à l’autre, souvent à l’intérieur d’une même phrase.

Le dialogue

Lorsque j’écrivais Miranda et le trou noir, la première de mes pièces à être produite, j’avais en tête de mettre le cosmos sur un plateau de théâtre ; je voulais créer une pièce éducative, qui saurait emporter le public tout en leur donnant matière à réfléchir… Comment rendre l’astronomie accessible ? Comment la dramatiser ? J’ai fait beaucoup de recherches, non seulement scientifiques, mais aussi théâtrales ; avec Morgane Naas, qui m’accompagnait dans ce projet, nous avons créé une forme courte, en clown, afin de trouver l’endroit du jeu, l’endroit d’accroche, et ensuite, de retour à la table, j’ai cherché une histoire parallèle ; l’histoire de vie qui allait créer le lien entre l’humain et le ciel.

J’étais préoccupée par l’influence de l’état émotionnel sur la pensée, sur la respiration, et donc sur le flux des mots … par les petites failles de l’être que l’énoncé trahisse … trahisons presque musicales qui pouvaient être annoter. Je voulais dramatiser le rythme naturel de la parole.

Lorsque j’ai commencé à écrire I Kiss You ou l’hétéroglossie du bilinguisme, j’étais en train de terminer mes études de traduction. Cela faisait presque quatre ans que j’étais déjà plongée, à mi-temps, dans des comparaisons de la culture française avec la culture anglaise, et de nos langues respectives. Mon écriture, avec Miranda et le trou noir, avait déjà commencé à faire ses épreuves sur le plateau…

J’ai donné une première version, une sorte de matière brut, à Laurent Crovella, car je le pressentais à la mise en scène. Nous nous sommes vus plusieurs fois, et, à chaque fois, Laurent avait des questions de dramaturgie qui provoquaient chez moi une réorganisation de cette matière. C’est ainsi que la pièce, telle qu’elle existe aujourd’hui, est née. Elle est fidèle à sa forme initiale, à mes obsessions de l’époque, c’est-à-dire au rythme de la pensée et de la parole qui se traduisaient par des interjections, un manque de ponctuation, une mise en page particulière, des interjections. Tout cela devait donner des clefs d’interprétation à l’acteur. Ainsi, I Kiss You ou l’hétéroglossie du bilinguisme est la pièce sœur de Miranda et le trou noir.

L’Avis de Marguerite a marqué un tournant dans mon approche à l’écriture. La pièce est une fiction historique qui traite de la grande chasse aux sorcières du XVIème et XVIIème siècles. À cela, j’y ai rajouté une dimension fantastique. En ce qui concerne la forme, j’avais été fortement influencée par des échanges que j’avais eu sur plusieurs années avec l’auteur rémois Pascal Adam. J’avais lu plusieurs de ses pièces et en avait traduit deux. Fort de ces échanges, j’ai voulu me confronter à un français plus soutenu, à une syntaxe plus littéraire, moins déstructurée. Toutefois, sans trahir ma propre recherche, j’ai fini par détourner plusieurs formes littéraires qui marquent chacun un passage de temps différent dans l’histoire racontée. Je me suis inspirée du conte et de sa tradition d’oralité bien structurée, mais aussi des alexandrins et de leur capacité à édifier une parole crue. Et pour boucler la boucle, je pensais aussi à comment Shakespeare, dans des pièces comme Macbeth ou Hamlet, déstructure le vers pour souligner la détresse intérieure d’un personnage.

Pour l’instant, mes recherches se font au travers des monologues, mais il faudra, par la suite, ouvrir cette question aux interactions entre plusieurs personnages et aux structures dramatiques plus complexes.

Catriona Morrison, avril 2022